PARTIES D’ÉCHECS




Cycle de six performances nocturnes, festival d’Avignon 2019
Un évènement secret organisé par La Loge 




Au cours du festival d’Avignon 2019, La Loge organise un évènement secret dans une maison réunissant les performances d’une demi-douzaine d’artistes. Petites formes in situ, crash tests et autres expérimentations en cours jouent en simultanée et en déambulatoire. Animal Architecte propose 6 performances de 10 minutes chacune, co-écrites et interprétées par la comédienne et performeuse Pauline Haudepin en s’inspirant du travail de recherche alors en cours sur BANDES :  “J’ai un petit problème avec le spectacle”, “j’ai un petit problème avec la linéarité”, “j’ai un petit problème avec le fait que rien ne change rien”... Mêlant pâte à sel, bougies chauffe-plat, conférence alcoolique et karaoké silencieux, “Parties d’échec” est une tentative punk pour TOUT raconter en ayant presque RIEN préparé.


Texte extrait de 

“ J’AI UN PETIT PROBLÈME AVEC LA VILLE ”




“Bonjour,
Bienvenue à toutes et à tous,

Je suis très heureuse d’être ici dans le cadre des journées de l’urbanisme de l’université d’Avignon.

Peut-être que certains d’entre vous ont pu assister à une de mes conférences précédentes, …, bon à l’époque j’étais sous la direction de Toni Negri, et puis finalement j’ai dû un peu ré-orienter mon sujet, disons que je suis passé par un épisode un peu euh, labyrinthique et donc, bref, du coup, je travaille justement à présent sur la question du labyrinthe dans l’oeuvre inachevée de Ivan Chtcheglov, voilà, qui fut l’ami de Guy Debord en 52-53 à Paris, voilà, bref, voilà, bon, et puis merci d’être venus venir si tard, j’ai cru comprendre que finalement on avait perdu une petite partie de l’équipe du colloque qui ne savait pas que le spectacle de Pascal Rambert durait si tard, donc, donc cette conférence, s’intitule Une ville à la dérive ? Les avant-gardes lettristes face à l’urbanisme rationaliste.

Alors euh la question c’est, c’est à la fois une question d’urbanisme et de philosophie c’est : Peut-on être nostalgique et avant-gardiste en même temps ?

Car, eux les situ,bon, ils proposent quoi ?  Ils veulent « construire des villes passionnantes », l’architecture comme moyen de moduler la réalité, d’articuler le temps et l’espace, de construire des situations, de faire rêver, il invente une ville où chacun construirait « sa propre cathédrale », avec des quartiers réservés à la peur, un quartier bizarre, un quartier Noble et tragique pour les enfants sages, un Jardin Planétaire, un Quartier Utile qui contiendrait l’hôpital et les magasins d’outillages … et des chambres d’amour, loin de la ville …

Alors comment on fait  pour détourner la ville ?

Debord et Ivan Chtcheglov passent tout l’été à dériver, ils se retrouvent vers 16h, ils commencent à boire, et puis après ils naviguent au hasard, ils cherchent les atmosphères, ils entrent là où il n’est pas prévu qu’ils entrent, ils prennent la rue Gallimard et la rue Sauvage, ils s’installent au croisement, ils attendent que Gallimard deviennent sauvage… Ils attendent…

Ils font des propositions,

mettre des interrupteurs qui permettent d’allumer ou d’éteindre toutes les lumières d’une rue, supprimer les trottoirs, transformer les églises en jardin d’enfants, inverser tous les indicatifs dans les gares… un peu comme si un forfait toute drogue était délivré au village du off, mais, bon, bref.

Et puis Ivan, aussi, chose importante donc Ivan, voulait détruire la Tour Eiffel, elle l’empêchait de dormir.

Et puis ils écrivent beaucoup sur les murs, ils disent que leurs idées sont dans toutes les têtes, et, bon, je raccourcis, hein, je raccourcis là, mais en gros, cette idée va transiter, et passer sur les murs, et on peut dire qu’il y a une filiation situ aux gestes du tag aujourd’hui, hein, je veux dire en Mai 68, d’ailleurs vous savez, Guy, et bah, Guy Debord pardon je veux dire, et beh il a refusé qu’on fasse paraître son livre avec le bandeau en 1969 « Le livre qui a provoqué Mai 68 » mais en vrai c’est très clair, enfin je veux dire, parce qu’il avait cessé de boire pour l’écrire en 1967- ce qui n’est pas rien non ? - bon, là j’ai préparé un petit diaporamma… Attendeeeez… Alors je, bon, à l’origine je devais avoir un vidéoprojecteur mais en fait bon, voilà, je… Bon je suis un peu dépassée par la technique, mais vous allez voir, non, vous voyez là ?

Et moi, ce -

Ce qui m’intéresse paritculièrement c’est que Chtcheglov repère le panneau qui est posé à l’entrée du jardin des plantes : « les jeux sont interdits dans le labyrinthe ».

Et c’est vrai, c’est vrai que l’urbanisme de Chtcheglov, bon, c’est une recherche contre la raison, contre la raison des villes et des climatiseurs et des ampoules basse consommation, et des vitrines, c’est une recherche du jeu, et donc, ce que je voudrais dire, c’est que peut-être, peut-être qu’il n’y a pas de belle ville sans labyrinthe, je ne sais pas, Venise, Avignon, au début du Formulaire pour l’urbanisme nouveau, il écrivait, Ivan :

« Et toi, oubliée, tes souvenirs ravagés par toutes les consternations de la mappemonde, échouée aux Caves Rouges de Pali-Kao, sans musique et sans géographie, ne partant plus pour l’hacienda… Maintenant, c’est joué. L’hacienda tu ne la verras pas. Elle n’existe pas. Il faut construire l’hacienda.»

Et c’est triste, triste, moi ça me rend …  Parce que l’Hacienda, elle a été construite, après, vous n’y étiez pas ? ça a été une boîte punk près de Londres, dans les années 80, il y avait des gens incroyables des fantômes d’Ivan et c’est devenue

une boîte à touristes, et je ne sais pas, pardon, je m’égare dans le labyrinthe, pardon, je ne sais pas comment on construit l’hacienda…

Je…

Pardon je…”

(Et elle se jette dans la piscine, sa flasque de cognac à la main).


Mark